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" Nous avons mérité cet honneur et la mère patrie considérera sans doute qu’elle se doit à elle-même de nous l’accorder. "

Émir Khaled, petit-fils d’Abd el-Kader et officier de la Grande Guerre, 1922

ENSEMBLE | PRESENCES MAGHREBINES ET ORIENTALES DANS L’ARMEE FRANÇAISE (1798-2013)

EXPOS

© G. Augustin / SPA-ECPAD
PRESENCES MAGHREBINES ET ORIENTALES DANS L’ARMEE FRANÇAISE
 

Avec l’expédition d’Égypte (1798) et la conquête de l’Algérie (1830), du Moyen-Orient au Maghreb s’installe une tradition : celle de la présence de supplétifs ou de combattants réguliers arabo-orientaux dans les forces armées françaises. Dans le cadre de l’année commémorative qui s’annonce, des hommages à la Grande Guerre à travers un 100e anniversaire très attendu, et du 70e anniversaire de la Libération de la France (septembre 1943-mai 1945), ce récit tisse un lien fort entre passé et présent.

À travers une exposition qui rassemble un récit inédit, fruit du travail collectif sans précédent qui a accompagné l’édition de l’ouvrage La France arabo-orientale, il s’agit de sortir des mythes pour transmettre une histoire méconnue. L’armée d’Afrique tels les chasseurs d’Afrique s’est constituée à partir de 1830 avec la mise sur pied d’unités à recrutement « indigène » ou métropolitain (tirailleurs, spahis, zouaves, goumiers, méharistes…), stationnées en Algérie, en Tunisie (1881) et au Maroc (1912). L’armée française dispose alors de troupes issues de tout le Maghreb, les Européens et les Juifs d’Afrique du Nord servant eux aussi dans des corps spécifiques de l’armée d’Afrique. Ces unités jouent un rôle militaire considérable lors des conquêtes coloniales, dans les trois conflits européens et dans les guerres de décolonisation, aux côtés des troupes métropolitaines et des troupes venues des « vieilles colonies », d’Afrique, de l’océan Indien, d’Indochine, de Polynésie ou de Nouvelle-Calédonie.

L’armée française a toujours été une source d’émancipation, de promotion sociale, mais aussi de déception, car si la reconnaissance du sacrifice a été immédiate dans les armées, elle a ensuite été évacuée de la mémoire collective nationale. Depuis peu, elle commence de nouveau à irriguer la nation. Monuments du souvenir, sites de mémoire accueillant les cérémonies militaires ou les scolaires, collections des musées ou des salles d’honneur du ministère de la Défense, transmission aux jeunes générations de combattants des décorations collectives décernées aux anciens, autant d’éléments qui rappellent le souvenir de ceux qui se sont illustrés au service de la France. C’est tout cela que raconte cette exposition, et bien plus encore. Elle nous raconte comment, pendant plus de deux siècles, la France a su se construire dans l’espace militaire.

 

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© adoc-photos
LES ORIGINES (1798-1848)
 

Napoléon Bonaparte s’est attaché, tout au long de ses campagnes militaires, les services de supplétifs égyptiens ou originaires de l’Empire ottoman (musulmans, coptes, melkites ou orthodoxes) tel son mamelouk Roustam Raza (un des personnages de la série Frères d’Armes). L’article 12 de l’acte de capitulation des Français en Égypte précisait le statut de ces futurs« rapatriés », déclarés libres de « suivre l’armée française ». Ces « Orientaux »vont être regroupés au sein de la Légion copte créée en avril 1800, puis intégrés à l’armée française en 1802 à travers le bataillon des chasseurs d’Orient créé à Melun. Sur un effectif d’un millier d’hommes au début, beaucoup désertent et, après quelques mois, il n’en reste que quatre cents que l’on regroupe à Toulon. Ils seront de toutes les campagnes napoléoniennes.

À partir de 1830 et avec la conquête de l’Algérie, les unités locales d’infanterie de zouaves, sont créées au sein de l’Armée d’Afrique. Le recrutement est alors mixte et les soldes identiques pour les « indigènes » et les Français. Dix ans plus tard, le système « égalitaire » initial est supprimé. L’ordonnance du 8 septembre 1841 indique la formation d’un régiment de zouaves constitué presque exclusivement de métropolitains et de Français d’Afrique du Nord avec une forte minorité de Juifs d’Algérie. Une seconde ordonnance (7 décembre 1841) crée en Algérie trois bataillons de tirailleurs indigènes, au sein desquels sont incorporés les soldats musulmans. Jusqu’à la campagne de Crimée, les appréciations portées sur ces combattants restent mitigées. Cependant, un personnage comme Mustapha ben Ismaël, agha (chef) du maghzen des Douaïr et Zméla, reçoit en 1841 le grade de général de brigade à « titre étranger ».

Ces régiments de soldats musulmans sont généralement placés sous le commandement d’officiers français comme Joseph Vantini dit le « général Youssouf ». Dans le même temps — et après la création de la Légion étrangère — est créé en 1834 en Algérie un corps de cavaliers indigènes qu’on nomme spahis, qui passe ensuite à trois régiments (ordonnance de juillet 1845). Comme on le voit et de manière visible, les Européens reprendront tout au long du XIXe siècle les traditions et les tenues des unités ottomanes, symboles de l’Orient.

 

 

FOCUS

 

Les zouaves, l’origine d’un nom

Les zouaves, dont le nom vient de celui de la tribu berbère des Zouaoua, comptent parmi les contingents maghrébins au service des gouverneurs turcs avant 1830. La renommée de ces combattants grandit très vite et, en 1894, la marque de feuille à cigarette Zig-Zag qui les popularise et représente un zouave est connue de tous…

© RMN-Grand Palais (domaine de Chantilly) / DR
PREMIERS COMBATS, PREMIERS HONNEURS (1848-1870)
 

Les bataillons de tirailleurs algériens, créés depuis la conquête de l’Algérie, sont engagés lors des différentes campagnes du Second Empire aux côtés des zouaves : Laghouat(1852), Crimée (1854-1856), Cochinchine (1858-1862), Italie (1859), Sénégal (1860-1861), Chine (1860) et Mexique (1861-1867) comme le Zouave marocain Daurière (un des personnages de la série Frères d’Armes). Ces soldats se distinguent par leurs faits d’armes, et l’on commence à les célébrer. À Malakoff, le sergent Ouled el-Hadj Kaddour, mutilé des deux bras, est d’ailleurs le premier tirailleur algérien à être décoré de la Légion d’honneur.

 

À la suite de la campagne d’Italie, un premier hommage leur est rendu en France en 1859 au camp de Saint-Maur. Dans le même temps, des bataillons de zouaves sont intégrés à la garde impériale tandis que quatre sculptures de ces combattants ornent le pont de l’Alma (1856) pour célébrer la bataille du même nom en Crimée. Après avoir créé par décret trois régiments de tirailleurs algériens en 1855, et suite à l’expédition mexicaine, Napoléon III leur rend hommage, décidant de les incorporer au sein de la garde impériale en 1863. Ils montent alors la garde au palais des Tuileries ou au Louvre, distrayant et fascinant les visiteurs de la capitale et les Parisiens par leur uniforme éclatant. Ceux que l’on appelle les turcos défilent ensuite à Longchamp en 1866, lors de la venue du tsar de Russie et du roi de Prusse, et en 1868, consacrant leur place au sein de l’appareil militaire.

 

Certains recevront des grades d’officiers supérieurs, comme le colonel Mohamed ben Daoud, premier élève musulman à Saint-Cyr. Avec la guerre franco-prussienne de 1870, la France fait appel à trois régiments de zouaves et trois régiments de tirailleurs, et c’est le premier conflit qui voit combattre ces soldats maghrébins sur le territoire métropolitain. Ce sont alors plus de six mille tirailleurs algériens qui montent au front et combattent à Wissembourg, à Froeschwiller-Woerth et à Sedan. Leur conduite sur les champs de bataille est exemplaire, et leurs pertes considérables. Sur les deux mille deux cents hommes du 2e régiment de tirailleurs algériens (RTA), seuls quatre cent quarante survivent.

 
FOCUS

Les tirailleurs algériens au camp de Saint-Maur (1859)

Le 14 août 1859, les tirailleurs algériens défilent pour la première fois dans Paris, tandis que de nombreux badauds viennent visiter leurs bivouacs installés au camp de Saint-Maur. Le Monde Illustré, à cette occasion, publie un reportage, décrivant leur « costume » comme un « fantaisiste compromis entre les draperies orientales et l’uniforme ».

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© Groupe de recherche Achac
LE MYTHE DES TURCOS
 

La mythologie autour des turcos — du nom des soldats au service de l'empire ottoman qui occupaient l'Algérie avant 1830 —se développe rapidement sous le Second Empire : leurs exploits sont relayés dans la presse, dans les images d’Épinal et auprès des chansonniers. C’est d’ailleurs au cours de la bataille de Sébastopol que les tirailleurs algériens gagnent leur surnom de turcos. Leur faible présence sur le territoire métropolitain n’empêche pas la création d’un imaginaire fantasmé et populaire. Celui-ci s’amplifie au contact des populations métropolitaines à l’heure de la guerre franco-prussienne de 1870. Ils rencontrent un fort soutien populaire, notamment lorsqu’ils traversent la France sur le toit des trains, ou lorsqu’ils sont en caserne et que la foule se précipite pour les « visiter ».

 

Après être passés par Marseille, ils combattent sur plusieurs champs de batailles et notamment à Froeschwiller-Woerth, tandis que les bataillons présents à Paris, au sein de la garde impériale, rejoignent directement le front. Leur présence et leur combativité marquent en profondeur les esprits. À l’heure de la Commune, quelques centaines de turcos prennent part aux combats, au coeur du Paris insurgé. Plusieurs d’entre eux se rendent célèbres comme Mohammed ben Ali, ou « le turco de la Commune Kadour » dont Alphonse Daudet dresse un portrait peu flatteur de son engagement dans la guerre civile française : « Tout joyeux de se trouver en si belle compagnie […], ce déserteur sans le savoir se mêla naïvement à la grande bacchanale parisienne et fut une célébrité du moment. »

 

Au lendemain du conflit, la République entretient la singularité de ces troupes musulmanes et européennes d’Afrique du Nord en mettant en avant leur altérité à travers les rites, défilés, folklores et tenues orientales. La grande presse en fait — à la veille de la Grande Guerre —, les symboles de la victoire possible tel l’hebdomadaire Le Miroir qui présente, dès novembre 1914, ces « brillants chasseurs d’Afrique sur la ligne de feu » en page de couverture. Le mythe des turcos s’essouffle en partie au profit des soldats noirs, notamment à travers l’image mythique du tirailleur sénégalais qui s’impose dans l’opinion dès 1917.

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© Jean Baptiste Tournassoud/ECPAD
LA GRANDE GUERRE (1914-1915)
 

Avec le début de la guerre, vingt mille Algériens, huit mille Tunisiens et trois mille cinq cents Marocains débarquent dans les ports français. Sur les quarante bataillons de troupes nord-africaines qui seront au front cette année-là, trente-deux arrivent entre août et septembre 1914. Des régiments de marche, composés d’engagés volontaires, sont également mis sur pied pour répondre à l’ordre de mobilisation. En août 1914, dès les premiers combats (Charleroi, bataille de l’Aisne…), ces troupes composées de jeunes recrues subissent de lourdes pertes, notamment la brigade marocaine jetée dans la bataille, dont Adolphe Messimy fera l’éloge.

 

Cette « guerre totale » oblige rapidement à recourir à la conscription, déjà introduite en Algérie en 1912, puis fréquemment au recrutement forcé qui entraîne, en Algérie notamment, de nombreuses révoltes. L’Algérie fournit au total cent soixante-dix mille « indigènes », la Tunisie plus de soixante mille et le Maroc presque quarante mille. On les retrouve sur tous les fronts de France et sur le front d’Orient. Aux côtés de ces combattants maghrébins, les Arméniens de France choisissent majoritairement de combattre l’Allemagne, répondant à l’appel d’Aram Turabian, qui mobilise des volontaires arméniens au sein de la Légion étrangère. À partir du printemps 1915, les troupes maghrébines, comme les troupes européennes, sont mieux préparées et connaissent moins de pertes. Le 9 mai 1915, le 2e régiment de marche, auquel est affectée la plus grande partie des volontaires arméniens, est aussi engagé en Artois.

 

L’imagerie populaire s’empare alors de ces nouveaux « héros modernes » et la presse en fait les emblèmes d’une possible victoire ; de nombreux lieux de souvenir en garderont la trace. Pour renforcer l’attachement des « combattants musulmans » et pour contrer la propagande allemande et turque, les autorités militaires se montrent bienveillantes à l’égard de la pratique de l’islam, comme à Nogent. Le peintre Étienne Dinet propose des stèles mortuaires et même un modèle-type appelé « mosquée démontable » qui sera expédié aux commandements ou dans les hôpitaux. Au moment où commence l’hiver 1915, le recrutement se normalise, une partie des combattants arabo-orientaux part en hivernage, tandis que les blessés continuent d’être acheminés dans les hôpitaux comme à Rennes.

 

 

FOCUS
L’hôpital et la mosquée de Nogent

Dès 1914, un hôpital pour les blessés musulmans est construit au jardin tropical de Nogent-sur-Marne pour contribuer à renforcer la loyauté des combattants musulmans. Une mosquée est ensuite construite, la première dans la France hexagonale. Détruite au début des années 20, il n’en reste aujourd’hui qu’une discrète plaque commémorative.

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© Coll. Éric Deroo / DR
FOCUS
La Légion d’Orient (1916-1919)

La Légion d’Orient est créée en novembre 1916 en accord avec les « autorités arméniennes » afin d’incorporer des soldats en opposition à la domination ottomane (puissance alliée des Allemands). Le nom de Légion d’Orient (installée à Chypre), intégrée à la Légion étrangère, est retenu permettant ainsi l’incorporation de Syriens et de Libanais.

AU-DELA DES TRANCHÉES (1916-1919)
 

L’effort de mobilisation s’intensifie et la présence des combattants laissent leurs traces mémorielles sur le territoire comme à La Mulatière, près de Lyon, ou à Suippes dans la Marne. Aux côtés des Maghrébins, cent mille Européens d’Afrique du Nord répondent à l’appel de la patrie, et les Arméniens croisent quelques Libanais et Syriens dans la légion d’Orient. En 1917, ils sont tous à Verdun. On trouve également quelques Yéménites et Abyssins intégrés aux contingents somalis; ils rejoindront en avril 1917 le régiment d’infanterie coloniale du Maroc (RICM). Face à l’hécatombe du chemin des Dames d’avril 1917, les officiers français soulignent l’engagement et le volontarisme des Nord-Africains, notant l’« esprit plus offensif que les autres troupes avec lesquelles ils combattent ».

 

Malgré cela, les révoltes contre la mobilisation éclatent régulièrement en Afrique depuis celles du Constantinois de 1916. La répression est sévère. Au front, malgré une fraternité d’armes indéniable, les inégalités persistent, ce que soulignent des sous-officiers, notamment le petit-fils de l’émir Abd el-Kader, l’émir Khaled, alors que la France n’a de cesse de faire appel à son empire. Pour un homme au front, il en faut plusieurs à l’arrière. Le Service d’organisation des travailleurs coloniaux (SOTC), créé en 1916, mobilise outre-mer de manière croissante ces travailleurs ayant le statut de combattant. Le prolongement de la guerre entraîne la constitution de nouvelles unités : sept régiments de marche et deux régiments mixtes de zouaves et de tirailleurs algériens sont ainsi créés. Comptant entre autres deux bataillons de tirailleurs algériens (turcos) et un peloton de spahis, le détachement français de Palestine-Syrie participe à la prise de Damas avant de rejoindre le Liban.

 

Fin mai 1918, les Allemands lancent la seconde bataille de La Marne (jusqu’au 6 août 1918), mais les troupes alliées résistent et lancent la contre-offensive. À l’heure de la victoire, les unités de tirailleurs maghrébins figurent parmi les plus décorées de l’armée française. En outre, leurs pertes s’élèvent à vingt-cinq mille morts pour les Algériens (et plus de vingt mille Français d’Algérie tués), plus de dix mille pour les Tunisiens et un peu plus de douze mille pour les Marocains. Ces troupes sont rapidement rapatriées ou envoyées dans la Ruhr avec les troupes d’occupation françaises, après avoir participé aux défilés de la victoire. Cette participation des troupes d’Afrique du Nord au défilé du 14 juillet 1919 est un tournant majeur. Elle préfigure le défilé du 14 juillet 2014, où devraient défiler côte à côte les armées du Maroc, d'Algérie et de Tunisie.

 

© Coll. Éric Deroo / DR
FOCUS

 

La mosquée de Paris (1926)

Le 15 juillet 1926, la mosquée de Paris est inaugurée par le président de la République, Gaston Doumergue, en présence de Moulay Youssef, sultan du Maroc. Symbole de la reconnaissance par la France du sacrifice des soldats coloniaux durant la Grande Guerre, cet édifice (dont la première pierre a été posée en 1922 par le maréchal Lyautey) apparaît aussi comme un instrument de surveillance de travailleurs maghrébins de la région parisienne.

L’ENTRE-DEUX-GUERRE (1919-1939)
 

L’entre-deux-guerres est marqué par un hommage appuyé aux combattants de la Grande Guerre. De fait, un projet de loi concernant la construction de la mosquée de Paris est voté en 1920, qui souligne le lien direct avec le conflit et le sacrifice de ces combattants : « Si la guerre a scellé sur les champs de bataille la fraternité franco-musulmane et si plus de cent mille de nos sujets et protégés sont morts pour une patrie désormais commune, cette patrie doit tenir à l’honneur de marquer au plus tôt et par des actes, sa reconnaissance et son souvenir. » Mais, au-delà de ces hommages officiels, de ces affiches vantant « ce que nous devons à nos colonies » et autres fantasias populaires où défilent les spahis et les tirailleurs en grande tenue, l’image des Maghrébins s’inscrit aussi dans celles des migrants que l’on désigne sous le terme de « Sidis ».

 

Cette ambivalence traverse tout l’entre-deux-guerres, même si des monuments importants, comme celui de Vimy dans le Pas-de-Calais, sont inaugurés en 1925 en hommage à la division marocaine. Quelques milliers de combattants, essentiellement des engagés volontaires algériens et une poignée de Marocains, demeurent stationnés aux frontières nord-est, telle une « ligne Maginot humaine », ainsi qu’on la qualifiera quelques années plus tard. À chaque 14 juillet et 11 novembre, leur « exotisme », mis en valeur par leur uniforme et leur nouba, garantit le succès des défilés dans les principales villes de garnison. Deux régiments de spahis tiennent garnison à Senlis, dont le 4e régiment de spahis marocains.

 

L’entre-deux-guerres est sans conteste un moment de propagande coloniale intense avec la tenue de grandes manifestations nationales, comme l’Exposition coloniale internationale de Paris de 1931 ou le Centenaire de la conquête de l’Algérie, un an auparavant, mais l’éclat de ce dernier reste cependant équivoque, à un moment où le nationalisme nord-africain s’est déjà fortement implanté. Il est porté par des personnalités de premier plan, et notamment des anciens combattants, comme l’émir Khaled (un des personnages de la série Frères d’Armes). Derrière ce miroir colonial, certains territoires entrent en dissidence (guerre du Rif au Maroc, grande révolte syrienne en Syrie-Liban), tandis que d’autres connaissent des événements graves (mutinerie de la garnison de Yên Bái).

 

 

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© SPA-ECPAD
DE LA MOBILISATION AUX FRONTSTALAGS (1939-1940)
 

En 1939, à la veille de la mobilisation, les tirailleurs sénégalais comptent dix-neuf régiments dont six en métropole. De septembre 1939 à mars 1940, on achemine en métropole plus de trente-huit mille de ces combattants, alors qu’en Afrique du Nord, vingt mille autres tirailleurs attendent d’embarquer. À la veille de l’armistice, soixante-quatre mille Africains et près de quatorze mille Malgaches sont dans la zone de front. Les « vieilles colonies » ne sont pas en reste, puisque trois mille trois cents Réunionnais ont quitté l’île entre septembre 1939 et juin 1940, tandis que près de quatre mille cinq cents Antillais et Guyanais sont en route ou déjà présents au front dans différentes unités, mais la brièveté des opérations ne permet pas l’envoi de troupes plus conséquentes. On compte même quelques réservistes antillais qui, avides de combattre pour la France, paient eux mêmes le prix de leur traversée. De nombreux tirailleurs, prisonniers des Allemands, sont massacrés, conséquence directe de vingt ans de propagande raciste en Allemagne (la Honte noire). Le 7 juin 1940, à Airaines, la compagnie du capitaine N’Tchoréré (un des personnages de la série Frères d’Armes) du 53e régiment d’infanterie coloniale mixte sénégalais (RICMS) est anéantie et les survivants exécutés sommairement.

À l’heure de la débâcle, on estime les pertes entre six et sept mille combattants africains, des Antilles, de Guyane et de l’océan Indien. Si le 22 juin 1940, l’armistice met fin à ces massacres et aux combats, elle annonce aussi une période de discrimination. On estime à près de trente-deux mille les soldats noirs en captivité dans les frontstalags, ces camps implantés sur le sol français et non en Allemagne pour éviter le contact avec la population allemande. Nombre de soldats noirs et de prisonniers évadés rejoignent la Résistance. En Afrique, des militaires et des fonctionnaires — à l’image du gouverneur du Tchad Félix Éboué —, rejoignent les forces gaullistes. Sur ses traces, au Congo, le bataillon de marche n°1 (BM1) est le premier d’une série de seize bataillons dans lesquels les tirailleurs africains vont se battre sur tous les théâtres d’opérations de la France libre. Dans les Caraïbes, quelques deux mille cinq cents Antillais, les « dissidents », rallient la France libre, suivis par près de cinq cents Guyanais.

FOCUS

 

Le massacre des Marocains
de Febvin-Palfart (1940)

Trente-deux soldats marocains sont faits prisonniers par les Allemands, le 21 mai 1940, après avoir résisté entre Valenciennes et Béthune. Ils sont immédiatement emmenés au camp de Febvin-Palfart. Le 30 mai 1940, ils y sont sommairement exécutés. Un monument en leur mémoire y est élevé en 1971 suite à un appel à souscription.

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© Jacques Belin / SPA-ECPAD
FOCUS

 

Le monument des goumiers marocains en Corse (1943)

La Corse est la première terre de France à être libérée par les Alliés, entre le 8 septembre et le 4 octobre 1943, avec plus de six mille cinq cents combattants de la 4e division marocaine de montagne dont le 1er régiment de tirailleurs marocains qui prend le col de San Stefano et le 2e groupe de tabors marocains qui prend le col de Teghime. Un monument y est érigé à leur mémoire.

 

 

La bataille de Monte Cassino (1944)

Fin janvier 1944, les bataillons de Tirailleurs engagés en soutien de l’attaque de Monte Cassino réussissent une percée lors des combats du Belvédère. Le 11 mai, une nouvelle offensive est menée avec les combattants nord-africains qui délaissent les axes routiers pour passer en terrain montagneux avec leurs brèles (mulets), contribuant au percement de la ligne allemande Gustav, le 15 mai 1944, et à la chute de Monte Cassino, au prix de lourdes pertes.

DU DÉBARQUEMENT EN AFRIQUE DU NORD A LA VICTOIRE (1942-1945)
 

Dans l’empire, une lutte fratricide oppose les forces gaullistes et vichystes. Au sein des Forces françaises libres (FFL) dont va faire parti Ouassini Bouarfa (personnage de la série Frères d’Armes), les légionnaires de la 13e demi-brigade de Légion étrangère et des tirailleurs nord-africains ont livré bataille en Érythrée et au Levant, avant de s’illustrer à Bir-Hakeim (désert de Libye), tel Roger Alloués (personnage de la série Frères d’Armes), et El-Alamein (Égypte) aux côtés des Alliés. Le 8 novembre 1942, les Anglo-Américains débarquent en Afrique du Nord. C’est le grand tournant du conflit et les troupes coloniales du Maghreb rejoignent les différents théâtres d’opérations.

 

La mobilisation générale permet de fournir en deux années cent dix-huit mille Européens et cent soixante mille musulmans « rappelés », qui s’ajoutent aux deux cent vingt-cinq mille hommes déjà prêts au combat. Trois divisions blindées et cinq divisions d’infanterie sont constituées, dont trois de l’armée d’Afrique : la 2e division d’infanterie marocaine (DIM), la 3e division d’infanterie algérienne (DIA) et la 4e division marocaine de montagne (DMM). En janvier 1944, ces unités prennent officiellement le nom de Corps expéditionnaire français (CEF). La fusion des FFL et de l’armée d’Afrique est réalisée, et constitue le fer de lance de la reconquête du territoire national… Après avoir combattu en Tunisie (septembre 1943), le 1e régiment de tirailleurs marocains et le 2e groupe de tabors marocains libèrent la Corse avec des figures comme Hammou Moussik (personnage de la série Frères d’Armes).

 

L’armée d’Afrique s’engage ensuite dans la campagne d’Italie, à laquelle participe Alain Mimoun, (personnage de la série Frères d’Armes) avec la prise de Monte Cassino en 1944. Après avoir débarqué sur les côtes de Provence en août 1944, les troupes remontent rapidement vers le nord-est de l’Hexagone après avoir libéré Toulon, Marseille, Lyon et Dijon. Le 12 septembre 1944, les unités venues de Normandie et celles de Provence font leur jonction. Après une dure campagne, ils franchissent enfin le Rhin en mars 1945, à l’image de d’Ahmed el-Abed. À l’heure de la victoire, le 8 mai 1945, l’Est algérien est ensanglanté par des massacres qui font plusieurs milliers de morts parmi les Algériens. La lutte pour les indépendances commence.

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© Coll. Éric Deroo / DR
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L’hommage de la République (1913)

Lors du défilé militaire à l’hippodrome de Longchamp, devenu un moment de « communion patriotique », le président de la République Raymond Poincaré remet leur drapeau à plusieurs régiments récemment constitués, dont dix régiments d’artillerie ou d’infanterie coloniale mixte du Maroc, des unités indochinoises, malgaches, et cinq régiments de tirailleurs algériens.

 

DE L’ARMÉE D’AFRIQUE A L’HOMMAGE DE LONGCHAMP (1873-1913)
 

La France sort défaite de la guerre contre la Prusse et meurtrie par les combats fratricides de la Commune. Par la suite, la naissance de la 3e République s’accompagne d’une expansion coloniale sans précédent. L’armée d’Afrique — qui regroupe, depuis le 28 septembre 1873, le 19e corps d’armée — participe activement à la constitution de l’empire colonial. En 1881, la Tunisie devient protectorat français et vient alimenter les garnisons de tirailleurs aux côtés des Algériens. Les premiers engagements militaires dans la Chaouïa marocaine en 1903-1907 exigent l’envoi de troupes, notamment de régiments de tirailleurs algériens, pour lutter contre les « Berabers » du Nord et les « Chleuhs » du Sud.

 

Avec le protectorat marocain (1912), de nombreux combattants «indigènes » intègrent des unités régulières. D’autres formations spécifiques à l’armée d’Afrique sont également créées, comme les compagnies méharistes sahariennes. Dans le même temps, l’armée française poursuit son processus d’intégration des élites militaires maghrébines qui entrent dans les plus prestigieuses écoles militaires, tel Chérif Cadi (un des personnages dans la série Frères d’Armes), premier polytechnicien indigène. Pour faire oublier la défaite de 1870, et toujours dans le cadre d’une propagande coloniale intensive, pas une exposition universelle et coloniale, pas une cérémonie officielle ne se tient sans un détachement de turcos ou de spahis (et notamment à Paris en 1878, 1889, 1900, 1906, 1907 ; à Marseille en 1906 et 1908 ; à Lyon en 1894 et 1914, ainsi qu’à Tourcoing ou à Toulouse).

 

Lors du défilé du 14 juillet 1913 à Longchamp, les troupes de l’empire sont particulièrement remarquées et, à la veille du conflit, leur présence rassure les Français. En 1914, c’est un vaste ensemble militaire qui s’est structuré dans toute l’Afrique du Nord (décuplé par la conscription des soldats algériens en 1912), composé de tirailleurs, de spahis, de méharistes et de zouaves, de chasseurs d’Afrique et de légionnaires et qui sera appelé au front aux côtés des Européens, des tirailleurs tunisiens ou des troupes marocaines.

© Groupe de recherche Achac / DR
FOCUS
Le chant des Africains (1915)

Ce chant, écrit par deux Européens en 1915 sous le nom du Chant des Marocains, est réécrit en 1943 pour accompagner la campagne de Tunisie, devenant ainsi l’hymne officieux du Gouvernement provisoire de la République française d’Alger : « Nous venons des colonies, pour sauver la patrie .» Repris pendant la guerre d'Algérie par les partisans de l'Algérie française, il est interdit jusqu’en 1970, puis réintroduit dans l’armée et même joué le 14 juillet 2013 lors du défilé des troupes africaines sur les Champs-Élysées.

LES PIEDS NOIRS DANS L’ARMÉE FRANÇAISE
 

Les Européens d’Afrique du Nord ont fait pleinement partie de l’armée d’Afrique. Dès 1831, a été créée la première troupe d’infanterie de zouaves et deux régiments de chasseurs d’Afrique. Si à l’origine, les zouaves sont recrutés exclusivement auprès des populations musulmanes, l’ordonnance du 7 mars 1833 permet le recrutement de citoyens français. La situation évolue progressivement et, à partir de 1841, les Français d’Algérie composent, avec les Juifs d’Algérie, la quasi-totalité des régiments de zouaves. De même, en 1841, les spahis musulmans sont retirés des chasseurs d’Afrique transformant ces corps en unités à grande majorité européennes. Napoléon III crée ensuite, en 1852, trois régiments de zouaves cantonnés en Algérie, et deux ans plus tard, il intègre un régiment de zouaves à la garde impériale.

 

Les Européens d’Afrique du Nord sont également présents, et forment entre le quart et le tiers du contingent des régiments de tirailleurs et de spahis, notamment en qualité de gradés. Leur prestige s’affirme en Crimée, puis en Italie, en Chine et au Mexique. Comme pour les turcos, c’est la guerre de 1870 qui renforce leur réputation, et, comme les métropolitains, ils sont soumis, à partir de 1876, au service militaire. En 1914, quatre-vingt treize mille Européens d’Afrique du Nord sont appelés sous les drapeaux. À la fin du conflit, ils sont cent cinquante-cinq mille mobilisés (dont cent quinze mille envoyés au front) .On estime leurs pertes à vingt mille tués, à l’image de Lucien Auguste Camus, père de l’écrivain Albert Camus. On les retrouve sur le front du nord-est de la France, comme lors de la bataille de la Marne, mais également au Levant.

 

Vingt-cinq ans plus tard, ils sont environ cent soixante-quinze mille à être de nouveau mobilisés à partir de 1942, auxquels s’ajoutent vingt mille évadés présents en Afrique du Nord. Au total, douze mille d’entre eux ne reviendront jamais. Les Européens du Maghreb ont le taux de mobilisés le plus important des territoires ultramarins atteignant 13,5 % de la population totale. Ils participent massivement à la campagne de Tunisie, puis celle d’Italie comme le général Alphonse Juin (un des personnages de la série Frères d’Armes) et à la libération de la métropole, où le Chant des Africains devient le symbole et le trait identitaire de ces combattants.

© Guy Defives/Georges Liron/SCA-ECPAD
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Mémorial de Saint-Raphaël (1975)

Le Mémorial national de l’Armée d’Afrique a été implanté à Saint-Raphaël à l’initiative du général Jean Callies, grâce à une souscription publique nationale. Il a été inauguré le 15 août 1975, boulevard du général-de-Gaulle, sur le front de mer.

DÉCOLONISATIONS ET COMMÉMORATIONS (1945-1975)
 

La Seconde Guerre mondiale à peine terminée, révoltes et guerres d’indépendance remettent en cause l’Union française. En Indochine (1945-1954), ce sont plus de cent vingt mille engagés volontaires maghrébins qui participent au conflit et au maintien de l’ordre, près de sept mille cinq cents d’entre eux y laissant la vie. Les mouvements nationalistes qui se développent au Maghreb conduisent aux indépendances de la Tunisie et du Maroc en 1956 libérant par la même occasion la quasi-totalité des militaires originaires de ces deux pays. À partir de 1954, la guerre d’Algérie rend complexe la situation des soldats maghrébins au sein de l’armée française.

 

On trouve pourtant en Algérie, en 1961, quelque vingt-six mille engagés — à l’image d’Ahmed Rafa —, trente-neuf mille appelés et plus de cent cinquante mille « supplétifs algériens » aux côtés des Français appelés sous les drapeaux. Du côté du Front de libération nationale (FLN) et de l’Armée de libération nationale (ALN), on retrouve d’anciens combattants de l’armée française, dont Ahmed ben Bella, ancien de Monte Cassino. Au lendemain du conflit, plus de vingt-cinq mille appelés et engagés sont encore cantonnés en Allemagne ou en France. Les dernières unités de soldats algériens sont finalement dissoutes en métropole au milieu des années 60. Avec eux, c’est une histoire militaire commune de cent trente ans entre la France et le Maghreb qui prend fin.

 

Avec les décolonisations, la France débute lentement (et difficilement) son travail de reconnaissance et de mémoire à l’égard de ces soldats maghrébins. En 1975, quelques semaines après les révoltes de plusieurs « camps de harkis », où les fils et les filles ont dénoncé le sort réservé à leurs parents et leur marginalisation au sein de la société française, le Mémorial national de l’armée d’Afrique est implanté à Saint-Raphaël. Alors que les associations d’anciens combattants et l’armée entretiennent le devoir de mémoire à l’égard de leurs frères d’armes, les politiques et la société civile peinent à reconnaître ces « oubliés de l’histoire ».

© SCA-ECPAD
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Les révoltes des camps de harkis (1975)

Durant l’été 1975, d’importantes révoltes de « harkis » se déroulent dans les camps de Bias et Saint-Maurice-l’Ardoise, situés dans le sud de la France. Point d’orgue de ce mouvement, quatre hommes cagoulés et armés pénètrent dans la mairie de Saint-Laurent-des-Arbres (Gard) et, sous la menace, obtiennent la fermeture du camp de Saint-Maurice-l’Ardoise.

HARKIS : HISTOIRE, MÉMOIRES ET RECONNAISSANCES
 

Le terme « harki » a deux sens : avant l’indépendance de l’Algérie, il désigne une catégorie de « supplétifs » de l’armée française et, après 1962, il désigne tous les Algériens combattants « rapatriés » en France et par extension, leur famille. Ces supplétifs ont toujours participé à l’histoire des troupes françaises en Afrique du Nord : goums et maghzens algériens et marocains par exemple. Progressivement, les troupes régulières ont remplacé ces troupes auxiliaires, mais lors de la guerre d’Algérie on recrute de nouveau des « supplétifs », à l’image d’un combattant comme Khélifa Haroud. Ces hommes (souvent des anciens combattants), sont rattachés à des unités régulières. Ils peuvent aussi servir dans les moghaznis (policiers) ou dans les groupes mobiles de sécurité (assimilés aux CRS), voir être des bénévoles rassemblés dans les groupes d’autodéfense villageois.

 

On estime leur nombre à cent soixante-quinze mille sur les huit ans de conflit. À la fin de la guerre, bon nombre de ces supplétifs — considérés comme des « traîtres » par les moudjahidines du FLN — souhaitent rejoindre la France et fuir les violences qui s’amplifient contre eux (selon les sources, entre soixante-quinze mille et cent-cinquante mille victimes). Face au flux de « rapatriés », les autorités françaises sont obligés de mettre en place des « camps de transit » à Rivesaltes (Pyrénées-Orientales) ou Bias (Lot-et-Garonne), qui deviendront des « camps permanents ».Ce sont plus de quarante-deux mille personnes qui transitent par les camps entre 1962 et 1965. Les conditions de vie entraînent les mécontentements qui mènent en 1975 à la première grande révolte , suivie de beaucoup d’autres dans les années 90.

 

Depuis une décennie, on revient peu à peu sur cette histoire douloureuse qui touche, aujourd’hui, près d’un demi-million de personnes en France. La question des indemnisations est, elle aussi, problématique : celles octroyées aux pieds-noirs dans les années 70 ne sont instaurées qu’en 1994 pour les « Français musulmans », suivies de nouveaux dédommagements en 1999, puis en 2005. En 2003, à l’occasion du 40e anniversaire du conflit, la Journée nationale d’hommage aux harkis et autres membres des formations supplétives est instaurée le 25 septembre, avec pour point d’orgue une cérémonie officielle dans la cour d’honneur des Invalides.

© Olivier Pasquiers/Le Bar Floréal
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Le jardin de Nogent

Dans le bois de Vincennes, le Jardin d’agronomie tropicale de Nogent-sur-Marne abrite plusieurs monuments liés à la Grande Guerre. Une plaque conserve la mémoire de la première mosquée de France liée à l’hôpital musulman de la Grande guerre, et un obélisque a été dressé en mémoire des soldats coloniaux. Tout autour, mémoriaux indochinois, malgache et aux « combattants noirs » font de ce jardin oublié un des grands lieux de mémoire de la République.

MÉMOIRES ET REGARDS CROISÉS AUJOURD’HUI
 

Dès octobre 1977, un tombeau du soldat inconnu d'Afrique du Nord est inauguré par le président de la République dans la crypte du mémorial de Notre-Dame-de-Lorette dans le Pas-de-Calais. Dix ans plus tard, sur le monument de Douaumont près de Verdun où figurent les noms de deux villes, Alger et Oran, Arezki Dahmani du mouvement France Plus (qui regroupe des Maghrébins engagés dans le processus électoral) dépose une gerbe et réclame un monument plus important… qui ne verra jamais le jour au regard de son coût. Vingt ans plus tard, Jacques Chirac inaugure à Verdun un nouveau monument, doublé d'une plaque à Douaumont, rappelant les sacrifices de 1916. À cette occasion, le président du CFCM, Dalil Boubakeur, déclare « c'est là que l'islam de France est né ». Depuis une dizaine d’années, mémoires et commémorations se croisent et s’entremêlent, alors que la place des Maghrébins — et des musulmans pour certains — dans la société française connaît une série de faits divers dramatiques : agressions et attentats contre des militaires, tags racistes sur des tombes d’anciens combattants maghrébins, mosquées visées par des inscriptions ou des attentats à la bombe, agressions de personnes voilées...

 

Dans le même temps, ce passé rencontre enfin le présent, comme à Toulon en 2004 en hommage au débarquement en Provence ou lors du cinquantenaire des indépendances en 2010 sur les Champs-Élysées. Pour autant, les enjeux autour des « décristallisations » des pensions militaires, portés par des hommes comme Lahcen Bahassi, traversent cette décennie. Il aura fallu attendre que le cinéma s’empare d’un tel sujet, avec le film Indigènes de Rachid Bouchareb en 2005, pour que ces mémoires dépassent les cercles militaires et fassent évoluer la question des pensions. À partir du 1er janvier 2007, une nouvelle politique en lien avec l’arrêt du 30 novembre 2001 du Conseil d’État est mise en place sous la conduite du ministre délégué aux Anciens combattants de l’époque, Hamlaoui Mekachera (2007). Enfin, avec le « jugement Mechti » (2008), une normalisation des statuts s’impose, qui déclare l’égalité des pensions entre les anciens combattants.

 

Aujourd’hui, l’armée française continue sa politique d’hommage mémoriel notamment par la mise en place d’expositions, comme celle inaugurée en 2012 aux Invalides sur la présence française en Algérie et de nombreuses autres qui ont transmis cette histoire : Nos Libérateurs, Toulon, Août 1944 (2004), le travail de la compagnie de théâtre Mémoires Vives avec la pièce À nos morts, ou encore l’exposition Harkis 1962-2012 à l’Hôtel national des Invalides (2013). De fait, les commémorations qui débutent, du Centenaire du 14 juillet à Longchamp (1913-2013) au Centenaire de la Première Guerre mondiale (2014-2018), du Cent-cinquantenaire de la présence des tirailleurs algériens au sein de la garde impériale (1863) au 70e anniversaire de la Libération du territoire national (1943-1945), seront autant d’« occasions exceptionnelles pour l’ensemble des Français rassemblés dans leur diversité et leur histoire partagée » de valoriser ces récits, comme l’a rappelé Kader Arif, le ministre délégué aux Anciens combattants au cours de l’été 2013.

© Adj. Desbourdes / ECPAD
MÉMOIRES ET COMMÉMORATIONS AUJOURD’HUI
 

L’assassinat des militaires Imad Ziaten, Abel Chennouf et Mohamed Legouad par Mohamed Merah, en mars 2013, a souligné aux yeux de l’opinion, au-delà de l’acte criminel, le visage « issu de la diversité » de l’armée française. Avec la suspension du service national obligatoire (1996) et la professionnalisation de l’armée, cette présence s’est prolongée. On estime — en l’absence de chiffres précis puisque les statistiques ethniques sont interdites — que cette population issue de l’immigration représenterait environ 15 % des effectifs militaires (contre plus de 30 % de soldats afro-américains et hispaniques aux États-Unis). Aux États-Unis, on favorise un « recrutement ethnique » ; au Royaume-Uni, il existe des équipes de recrutement issues des « minorités ethniques » et un système de quotas baptisé Plan d’action pour l’égalité des chances ; aux Pays-Bas, on cible directement des « minorités ethniques ». Si la France a mis en place plusieurs programmes d’intégration et de lutte contre les discriminations, ce type de politique affirmée en matière de recrutement n’existe pas.

En France, néanmoins, on trouve au sein de l’armée de l’air la possibilité d’un contrat d’engagement de trois ans, renouvelable, destiné aux jeunes défavorisés, et, en 2008, un programme d’égalité des chances a été mis en place. Pour ces efforts, l’armée de terre s’est vue décernée, en 2013, le « Prix de la diversité » par l’association Tolède. Mais il n’existe pas encore de politique globale en faveur des diversités des origines, même si ces atouts sont reconnus, notamment lors des interventions en dehors du territoire national. En outre, ces soldats, en particulier ceux d’origine ou de confession musulmane, peinent parfois à faire reconnaître qu’ils sont pleinement français, du fait du soupçon de « double allégeance » et de l’émergence du radicalisme islamique ; il reste donc de nombreux efforts à entreprendre quant à la promotion de ces soldats. Depuis des décennies, dans le Jardin d'agronomie tropicale de Nogent-sur-Marne, un hommage est rendu tous les ans à cette armée historiquement composée de populations très diverses.

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