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“Le rôle joué pendant la grande guerre par les indigènes a été grand, leur sang s’est mêlé au sang français sur tous les champs de bataille, leur acquérant des droits légitimes par des sacrifices communs...”

Baron des Lyons de Feuchin, 1924

ENSEMBLE | PRÉSENCES DES AFRIQUES, DES CARAÏBES ET DE L'OCÉAN INDIEN DANS L'ARMÉE FRANÇAISE (1765-2013)

EXPOS

Garde d’honneur du 1er régiment de tirailleurs sénégalais lors du défilé du 14 juillet [Paris], photographie, 1913. © Coll. Éric Deroo/DR
Présences des Afriques, des Caraïbes et de l’Océan Indien dans l’Armée française.
 

À l'occasion des célébrations du 100e anniversaire de la Grande Guerre (1914-1918) et du 70e anniversaire de la Libération (1943-1945), cette exposition qui accompagne la série de films Frères d’Armes, retrace une aventure unique. Il y a près de deux cent cinquante ans, la marine française recrutait des matelots (les Laptots) sur les côtes du Sénégal. Au même moment, dans les Caraïbes, on intégrait des « combattants noirs » dans les unités régulières, une pratique qui se développe avec la Révolution française. Aux côtés des troupes venues du Maghreb et de celles plus lointaines de l’ex-Indochine, de Polynésie ou de Nouvelle-Calédonie, ces combattants originaires des Antilles-Guyane, de l’océan Indien et d’Afrique de l’Ouest écrivent une geste exceptionnellement riche sur le continent européen. Ce récit est le fruit d’un long travail de recherche et d’écriture, qui a accompagné l’édition de l’ouvrage La France noire et fait suite aux expositions L’Appel à l’Afrique et La Force noire, mais c’est aussi la mise en lumière d’un patrimoine exceptionnel rassemblé ici pour la première fois.

L’exposition s’attache à la présence de ces combattants dans l’Hexagone, elle nous parle des tirailleurs africains et malgaches, des combattants des Comores et de la Côte française des Somalis, des soldats créoles des Antilles-Guyane ou de ceux de la Réunion, des engagés kanaks de Nouvelle-Calédonie, mais aussi des combattants afro-américains qui, par deux fois, viennent combattre sur le sol de France. Si les décolonisations marquent un tournant, le visage que nous offre aujourd’hui l’armée française est le fruit de cette longue tradition de diversité. Retracer cette histoire, faire ressurgir les mémoires, c’est tenter de déconstruire un enchevêtrement de mythes, loin des images fabriquées. C’est aussi s’attacher à ce passé commun qui existe entre la France, l’Afrique et les outre-mer, et qui participe aujourd’hui d’une mémoire commune au cœur de notre société de la diversité.

Entre revalorisation des pensions militaires, commémorations régulières et mise en valeur de nombreux mémoriaux (Chasselay, Nogent-sur-Marne ou Fréjus), collections des musées ou des salles d’honneur du ministère de la Défense, transmission aux jeunes générations de combattants des décorations collectives décernées aux anciens, les mémoires se trouvent désormais célébrées au-delà des cercles militaires. Il est désormais temps de bâtir une histoire partagée, avec distance et critique, et de croiser les mémoires pour désormais « chanter » en commun nos « frères d’armes ».

2-ORIGINES
FOCUS

 

La tenue des tirailleurs sénégalais (1857)

L'appellation de tirailleurs sénégalais s'applique rapidement à tous les militaires indigènes originaires de l'Ouest africain. Lors de son engagement, le tirailleur reçoit une chéchia, un turban de toile blanche, un manteau avec capuchon, une veste et un gilet à la turque en drap bleu roi bordé de jaune, deux pantalons à la turque, l’un bleu, l’autre blanc. Cette tenue, identique à celle des zouaves, sera portée jusqu’en 1889.

© Coll. Éric Deroo/DR

Le bataillon des pionniers noirs (1803)

Figure majeure du bataillon des pionniers noirs, Joseph Damingue (dit « Hercule »), fils d’un Noir de Cuba, a participé à la campagne d’Égypte (1798-1801) avant d’être nommé commandant de ce bataillon. Celui-ci est composé de soldats de l’armée de Toussaint Louverture, citoyens français et des Africains ayant participé à la campagne d’Égypte ; certains de ces hommes sont issus du bataillon de chasseurs africains.

 

 

LES ORIGINES (1765-1857)
 

En 1688, le jeune Louis Aniaba venu de Côte d’Ivoire, arrive à la cour du roi Louis XIV. Admis comme mousquetaire, il devient le « premier officier noir de l’armée française » et capitaine du régiment de cavalerie en Picardie. L’exemple est exceptionnel, mais dès le XVIe siècle, les premiers navigateurs européens abordant les côtes de l’ouest de l’Afrique, avaient déjà recruté des « auxiliaires indigènes ». Il n’y a pas d’organisation réelle avant 1765, lorsqu’on lève un corps permanent pour la défense de l’île de Gorée, les Laptots. Ces soldats blancs, noirs et mulâtres sont les ancêtres des tirailleurs sénégalais, unité militaire que le général Faidherbe décide de créer en 1857 avec de nombreux esclaves rachetés et des « supplétifs ». Cette création sera entérinée par un décret de Napoléon III. L’appellation tirailleur sénégalais vaut rapidement pour tous les soldats recrutés en Afrique subsaharienne.

 

En 1884, on regroupe les deux bataillons au sein d’un régiment, dans lequel la moitié des postes de sergents et de caporaux est réservée aux « indigènes ». Dans les « vieilles colonies » (Guadeloupe, Martinique, Guyane, Réunion), l’habitude est plus au recours à des esclaves pour assurer la défense du territoire. Plusieurs ordonnances régularisent l’emploi de ces « supplétifs » dans les milices de « gens de couleur », milices dont on trouve trace dès 1703 pendant la campagne de Guadeloupe contre les Anglais. La valeur militaire des soldats libres de couleur engagés durant la guerre d’indépendance des États-Unis (chasseurs volontaires de Saint-Domingue par exemple) est saluée par La Fayette. Puis, ce sont les campagnes de la Révolution française et de l’Empire qui font émerger de véritables unités régulières, à l’image du bataillon de chasseurs africains qui devient une des composantes, en 1803, du bataillon des pionniers noirs où des personnalités comme Joseph Damingue (un des personnages de la série Frères d’Armes) émergent. Dans le même temps, s’imposent également les figures du général Dumas (un des personnages de la série Frères d’Armes) ou du célèbre chevalier de Saint-Georges. Nommé capitaine de la Garde nationale en 1790, ce dernier devient colonel à la tête de la Légion franche des Américains et du Midi créée en 1792. Si l’abolition de l’esclavage en 1848 fait de tous les habitants des « vieilles colonies » des citoyens, la conscription militaire pour tous n’est pas encore d’actualité, alors qu’en Afrique de l’Ouest — à l’image du parcours d’Alioune Macode Sal — la question se pose de régulariser les « supplétifs » dans des corps réguliers.

 

© Coll. Éric Deroo/DR
FOCUS
L’Histoire de Fachoda (1899)

De retour de Fachoda, le commandant Marchand défile à la tête de ses soldats le 14 juillet 1899 à Longchamp, transformant sa défaite en triomphe de la France coloniale. Pour le général Pineau, cela « consacre et récompense le mérite des glorieuses troupes qui, dans le passé, ont porté le drapeau de la France, dans toutes les contrées de la terre africaine ». Aujourd’hui, face au palais des Colonies de la Porte Dorée, un monument rend hommage à la Mission Marchand et à ses « Noirs combattants ».

À LA CONQUÊTE DE L’EMPIRE… ET DE L’OPINION (1857-1899)
 

Après le temps des esclaves et des abolitions, c’est par le fait militaire que la présence noire devient visible en métropole et pénètre la société française. Les turcos (troupes composées partiellement de Noirs des confins sahariens, aux côtés des Kabyles et des Arabes) qui viennent combattre les Prussiens en métropole en 1870, ont déjà défilé à plusieurs occasions dans la capitale (en 1859, 1863, 1866 et 1868). Ils ont ainsi attisé la curiosité des Français et sont devenus des héros de la littérature populaire. Le conflit avec la Prusse voit également apparaître des figures créoles blanches combattante, faisant ainsi entrer les « vieilles colonies » dans l’allégorie militaire française.

L’Exposition universelle de 1889 dynamise cette passion populaire en associant les tirailleurs sénégalais au centenaire de la Révolution française, où l’on célèbre une identité nationale fondée sur les valeurs de la République, associée à l’entreprise coloniale dont ces combattants noirs sont un des fers de lance. Ils sont, en outre, largement engagés dans la conquête outre-mer. La campagne du Mexique (1861-1867) voit combattre sous drapeau français la première unité antillaise mise sur pied. La compagnie se distingue lors de la bataille de la Tejeria en 1862. Les tirailleurs, eux, participent aux campagnes coloniales africaines, au Soudan (1886-1891) ou au Dahomey (1893-1894). Certains marquent l’histoire coloniale, tel le sergent Malamine qui assiste Savorgnan de Brazza dans son épopée en Afrique centrale.

Les contours de l’empire colonial français s’affinent. On crée le ministère des Colonies en 1894, alors que la France se lance, sous l’impulsion des groupes de pression réunionnais, dans l’expédition de Madagascar (1891-1895), s’appuyant pour cela sur les combattants d’Afrique de l’Ouest et un contingent réunionnais. La colonisation de l’île est d’ailleurs l’occasion de lever des troupes sakalaves et des Comoriens, des populations réputées guerrières de l’ouest de l’île de Madagascar. Dès 1895, l’unité de tirailleurs sakalaves devient le premier régiment de tirailleurs malgaches. En 1898, cette expansion française en Afrique, dont le cœur de la troupe était composé de combattants africains, est freinée par les Anglais à Fachoda. Malgré ce recul, les tirailleurs sénégalais défilent à Paris derrière le commandant Marchand en 1899 et sont acclamés par les Parisiens, s’inscrivant désormais comme des éléments familiers de la mythologie républicaine.

3-CONQUETE
© Coll. Éric Deroo/DR
FOCUS
Mobilisation et « vieilles colonies »

L’une des revendications majeures dans les « vieilles colonies » — relayée par des élus au Parlement tel Candace Gratien —, est de bénéficier réellement du statut de citoyen français, statut consacré par le service militaire. Ceci advient à la Réunion en 1895, mais la loi n’est appliquée aux Antilles qu’en 1913, à la veille du conflit. Les conscrits rejoignent alors la métropole afin d’être incorporés dans les régiments d’infanterie coloniale à Rochefort, Marseille et Perpignan.

LA « FORCE NOIRE » (1900-1913)
 

En 1900, les troupes destinées à servir outre-mer, constituées d’Européens et de « combattants indigènes », connues sous le nom de troupes de Marine, passent au ministère de la Guerre sous le nom de troupes coloniales. À partir de 1908, les tirailleurs sénégalais sont engagés dans la campagne du Maroc, première utilisation hors des colonies d’Afrique subsaharienne française ou de Madagascar. Des combattants — tel Mamadou Racine en 1884 —, commencent à être intégrés dans l’encadrement, structurant de plus en plus ces troupes africaines. L’espace colonial s’étend un peu plus avec la création de l’Afrique équatoriale française en 1910, et l’idée s'affirme que ces « troupesnoires » pourraient être employées hors du continent africain. C’est dans ce contexte que le général Mangin théorise, dans son ouvrage La Force noire (1910) l’utilisation de ces unités. Dans un climat de crainte d’une nouvelle guerre contre l’Allemagne, le Parlement, la presse et une partie de l’opinion publique se passionnent pour le projet. Le gouvernement français organise et développe dans le même temps la conscription dans tout l’empire, et notamment en Algérie et dans les « vieilles colonies ». À la veille du conflit, cette force va être glorifiée par la République.

Le défilé du 14 juillet, qui se déroule traditionnellement à Longchamp, regroupe, en 1913, toutes ces troupes issues de l’empire colonial. Quand les unités annamites, malgaches et algériennes reçoivent leur drapeau en une cérémonie unique qui consacre leur reconnaissance, l’emblème du 1e régiment de tirailleurs sénégalais reçoit la Légion d’honneur des mains du président de la République, Raymond Poincaré. Il s’agit de la plus haute distinction que la Nation accorde à une unité. Pour être présents à cette cérémonie, les tirailleurs sénégalais ont débarqué à Marseille quelques semaines plus tôt, parfois avec « Madame tirailleur » et leurs enfants, comme en témoigne une série de photographies exceptionnelles. À cette date, les tirailleurs sénégalais comptent au total trente-cinq bataillons, soit trente mille hommes, dont une partie sera engagée un an plus tard au cœur des combats.

© Coll. Éric Deroo/DR
LA GRANDE GUERRE (1914-1916)
 

Dès la déclaration de guerre, en août 1914, dix bataillons de tirailleurs sénégalais rejoignent la France pour participer aux combats sur la Marne et l’Yser. Mais les pertes sont lourdes du fait de l’inexpérience des jeunes recrues, et des pathologies infectieuses. En 1915, de nombreux combattants sont aussi envoyés sur le front d’Orient, dans les Dardanelles ou à Salonique, dans de violentes batailles les opposant aux Turcs. Sur quatre années de conflit, on comptera en Europe cent trente-quatre mille combattants venant d’Afrique Occidentale française et d’A-ÉF, deux mille Somalis et Comoriens (ces derniers servant soit au 12e bataillon malgache, soit au bataillon somali), et vingt neuf mille tirailleurs malgaches, auxquels s’ajouteront plus de cinq mille travailleurs.

Avec le conflit, le gouvernement choisit d’appeler au combat les soldats des « vieilles colonies » aux côtés des soldats de la métropole, et la majorité des Créoles sert dans les régiments d’infanterie coloniale (RIC) à l’instar de Raphaël Elizé (un des personnages de la série Frères d’Armes). Des Guadeloupéens sont, par exemple, affectés en Orient dans les 3e et 56e RIC. De 1914 à 1918, sur les cent mille Antillais et Guyanais recensés, près de dix-sept mille sont dirigés vers les zones des armées à l’instar du soldat Saint-Just Borical (un des personnages de la série Frères d’Armes). À la Réunion, six mille combattants quitteront l’île, à l’image de l’aviateur Roland Garros (un des héros de la série Frères d’Armes). Au total, près de deux mille six cents natifs des « vieilles colonies » ne reviendront pas de la guerre. Quant à la Nouvelle-Calédonie, elle mobilise mille « volontaires » dont un tiers trouve la mort au combat comme Saiaeng Wahena (un des personnages de la série Frères d’Armes). Contrairement à un mythe répandu, ces troupes coloniales ne forment pas la « chair à canon » d’une première ligne sacrifiée, et leurs pertes sont égales à celles des poilus français (entre 22 et 24 %). En outre, la rigueur du climat en plus des souffrances physiques et morales, conduit le commandement à relever les Africains pour les faire hiverner dans des camps à Fréjus en Provence ou du Courneau en Aquitaine. En Afrique, aux Antilles et en Guyane, les résistances face à cet « impôt du sang » existent et les refus d’incorporation et les désertions sont nombreux, comme en Afrique de l’Ouest dans la région de Ségou, mais aussi dans l’Ouest-Volta en 1915.

FOCUS
Dans les Dardanelles (1915)

L’entrée en guerre de la Turquie aux côtés des Allemands, en octobre 1914, ouvre un front en Orient. Un corps militaire allié débarque aux Dardanelles en avril 1915, avec près de dix mille tirailleurs sénégalais qui réussiront à tenir leurs positions pendant des semaines. À Kumkale, ils mèneront l’assaut, et auront à y subir de lourdes pertes avant d’être envoyés sur le front de Macédoine.

 

Les camps de Fréjus et du Courneau

La région du sud-est est rapidement retenue pour les hivernages, et dès 1915, les premiers contingents s'installent à Fréjus. Les camps sont rapidement saturés, accueillant jusqu’à cinquante mille hommes, et les Somalis qui arrivent en 1916 sont installés à Roquebrune-sur-Argens. Des unités sont aussi dirigées vers l’Algérie et la Tunisie tandis qu’un nouveau lieu près de Bordeaux, d’une capacité de dix mille tirailleurs, Le Courneau, est ouvert en 1916.

4-FORCE
1-PRESENCE
5-GRANDEGUERRE
© Groupe de recherche Achac / DR
FOCUS
Les marraines de guerre

Tout au long du conflit, des « marraines de guerre » vont entretenir des correspondances avec les soldats, métropolitains et coloniaux. Au stéréotype de la « femme facile » viennent se télescoper deux clichés, alimentés par les sous-entendus grivois à propos de ces relations : celui du combattant « rassurant » et « sympathique » ; celui de l’homme noir à la sexualité débridée.

AU COEUR DU CONFLIT : DE BLAISE DIAGNE À LA VICTOIRE (1916-1918)
 

Au total, on estime entre cinq cent cinquante mille et six cent mille le nombre de soldats coloniaux qui sont venus des quatre coins du monde combattre en Europe… sans parler de ceux qui sont restés mobilisés dans les colonies. Ajoutons à cela les deux cent mille « travailleurs coloniaux », et l’on prend la mesure de cet important flux migratoire. Ces soldats ne combattent pas qu’en Europe. En Afrique, les colonies allemandes sont attaquées et deviendront par la suite des mandats français, comme au Cameroun ou au Togo. La visibilité de ces combattants s’accentue sur tout le territoire métropolitain, par le biais, notamment, des milliers de blessés africains et antillais soignés dans les hôpitaux. Photographes et dessinateurs les montrent avec leurs infirmières ou leurs marraines de guerre, contribuant à bâtir cette image du « sympathique et bon enfant » tirailleur Y’a bon.

Dès 1916, les pertes humaines subies et une nouvelle révolte dans le nord du Dahomey conduisent le gouvernement à réfléchir à sa stratégie de recrutement. Pourtant, seul le 61e bataillon de tirailleurs sénégalais (BTS) se soulève lors des grandes mutineries de 1917. À la demande de Clemenceau, le député du Sénégal Blaise Diagne entre au gouvernement en janvier 1918 en tant que haut- commissaire de la République pour le recrutement en A-OF. Grâce à son action, l’état-major lève plus de trente BTS qui arrivent en France (quarante mille soldats), quatorze de réserve en Algérie et en Tunisie, treize au Maroc, vingt en Orient. Les populations lui font confiance, s’engageant sur les promesses de celui qui avait porté la loi du 29 septembre 1916 reconnaissant définitivement la citoyenneté française aux originaires des « quatre communes » du Sénégal.

Sur le front en France, des bataillons s’illustrent particulièrement : les tirailleurs somalis et comoriens lors de la reprise de Douaumont à Verdun en octobre 1916 comme le comorien Ali M’Hamoudi (un des personnages de la série Frères d’Armes), les Sénégalais à Reims au printemps 1918 ou encore le 12e bataillon de tirailleurs malgaches, qui se couvre de gloire dans les opérations de l’automne 1918. Des combattants se distinguent aussi individuellement, comme le Guadeloupéen Camille Mortenol (un des personnages de la série Frères d’Armes) ou le Sénégalais Bouna N’Diaye ou Backary Diallo (un des personnages de la série Frères d’Armes) ou encore le réunionnais Joseph Ignace Rivière (un des personnages de la série Frères d’Armes). Mais, si leur bravoure militaire est consacrée et s’ils participent aux défilés de la victoire, l’égalité de statut promise n’en récompensera qu’un petit nombre en Afrique subsaharienne ou à Madagascar.

 

1.6
© Groupe de recherche Achac / DR
IMAGES ET IMAGINAIRES AUTOUR DE BANANIA
 

Le produit Banania naît dans l’esprit du journaliste Pierre Lardet qui en rapporte la recette du Nicaragua. Le premier symbole de la marque est une jeune femme antillaise imaginée par le dessinateur Tishon et la première publicité est éditée en 1914 dans le journal Excelsior. Puis, c’est un poilu imaginé par Maurice Leloir qui devient la signature du produit. Enfin, petit à petit, le tirailleur sénégalais s’impose et l’emblème de la marque est créé en pleine guerre, en 1915 par Giacomo de Andreis. Pierre Lardet inscrit alors son produit dans le contexte du conflit en proposant « pour nos soldats la nourriture abondante qui se conserve ». Il envoie même des wagons de Banania aux soldats du front. À l’image du tirailleur, son créateur lui adjoint « Y’a bon » en 1917, surnom attribué aux tirailleurs sénégalais lors de la campagne du Maroc en 1908. Le succès de la boisson va croissant au sortir de la guerre et dans le contexte d’occupation par les « troupes noires » de la Ruhr allemande. La marque est partenaire des jeux Olympiques parisiens de 1924 et participe aux expositions coloniales françaises.

Si la Première Guerre mondiale met en contact les populations de la métropole et celles des outre-mer, seule une poignée de démobilisés s’installe en France où la Revue nègre de Joséphine Baker (une des personnages de la série Frères d’Armes) (1925) rencontre un succès immense. Des centaines de cartes postales, des vignettes publicitaires, des affiches, des romans et des films vantent la bravoure du fidèle « Y’a bon » dont l’image change en 1935, étant revisitée par Georges Elisabeth qui ne dessine plus que le visage, la cuillère et le slogan. Le mythe est devenu icône. L’image du « grand enfant » s’est fixée à travers « Y’a bon », ce que dénoncera trente-cinq ans après sa création Léopold Sédar Senghor (un des personnages de la série Frères d’Armes) dans un texte célèbre (Hosties noires). Ce que dénonceront aussi, en 2011, plusieurs associations obtenant devant les tribunaux l’interdiction par la société Nutrimaine (qui fabrique toujours ce produit centenaire) de reproduire le slogan Y’a bon.

FOCUS
Banania et les expositions coloniales

Si l’Exposition coloniale de Marseille de 1922 est un succès pour la marque, dont le stand est illustré par une immense image du tirailleur sénégalais, la véritable consécration arrive avec l’Exposition coloniale de Paris de 1931. D’ailleurs, lors de sa visite, le président de la République Gaston Doumergue s’attarde longuement au stand Banania.

D’UNE GUERRE À L’AUTRE
 

Le bilan de la guerre est lourd : les pertes s’élèvent à vingt-cinq mille tués et disparus pour l’Afrique occidentale et équatoriale française ; Madagascar, les Comores, les Somalis et la Réunion comptent près de trois mille tués ; les Antilles et la Guyane comptent plus de deux mille disparus. Plusieurs monuments commémoratifs à Nogent-sur-Marne, dont un en hommage « À la mémoire des soldats noirs morts pour la France », et un autre aux « sacrifices des combattants malgaches » sont élevés. La cathédrale de Dakar, Notre-Dame des Victoires, est également érigée à partir de 1922, en hommage aux Africains « morts pour la France ». Mais, pour beaucoup de combattants, ce n’est pas l’égalité attendue.

De retour dans les « vieilles colonies », les Créoles sont certes reçus avec les honneurs, comme le signifient les centaines de monuments commémoratifs qui s’édifient, mais une discrimination certaine existe toujours. La majorité des combattants est rapatriée et seul un petit nombre de démobilisés est restée en France (trois à quatre mille), avec les troupes stationnant dans les garnisons de la métropole (quatre mille cinq cents en 1922, sur un total d’un peu moins de cinquante-deux mille tirailleurs que compte l’armée française). Une école de formation d’officiers indigènes s’ouvre à Fréjus, mais les effectifs restent limités.

Dans la Ruhr occupée par les troupes françaises, se développe dès 1919 une propagande dirigée contre les combattants coloniaux et ces unités (malgaches et sénégalaises) sont progressivement retirées. Ces troupes sont envoyées par la suite au Maroc (guerre du Rif en 1925-1926) et au Levant dans les mandats français de la Syrie-Cilicie et du Liban (grande révolte syrienne en 1926). Au contact de ces formations coloniales, les mentalités ont évolué, ainsi qu’en témoigne la littérature, à l’image de Lucie Cousturier (Des inconnus chez moi) ou de René Maran et son roman Batouala, prix Goncourt en 1921. Désormais figure incontournable, le soldat colonial est omniprésent dans les grandes expositions coloniales de l’entre-deux-guerres, la littérature impériale, le cinéma ou les manifestations officielles, tel le tricentenaire des Antilles en 1935 ou les salons de la France d’outre-mer de 1935 et 1940.

 

 

La Honte noire (1919-1925)

L’Allemagne développe un long cycle de propagande raciste en dénonçant la « souillure » de son sol par des « soldats de couleur » à l’occasion de l'occupation de la Rhénanie en 1919. Cette « Honte noire » entend souligner leur cruauté, leur bestialité, en dénonçant notamment de prétendus viols. Adolf Hitler réutilisera d’ailleurs ce thème dans son livre-programme pour dénoncer la « dégermanisation, la négrification et la judaïsation » du sang allemand.

 

FOCUS

 

Mémorial malgache
de Nogent (1925)

Dans le Jardin colonial de Nogent-sur-Marne s’élève un monument à la mémoire des tirailleurs malgaches. Cette colonne, ornée de mosaïques, est couronnée d’un aigle serpentaire, un emblème du pouvoir royal à Madagascar. Il a été inauguré en 1925, afin de rendre hommage aux trente mille combattants de Madagascar et des Comores venus en Europe durant la Grande Guerre.

© Coll. Éric Deroo/DR
7-UNEGUERREALAUTRE
6-BANANIA
© Service historique de la Défense
DE LA MOBILISATION AUX FRONTSTALAGS (1939-1940)
 

En 1939, à la veille de la mobilisation, les tirailleurs sénégalais comptent dix-neuf régiments dont six en métropole. De septembre 1939 à mars 1940, on achemine en métropole plus de trente-huit mille de ces combattants, alors qu’en Afrique du Nord, vingt mille autres tirailleurs attendent d’embarquer. À la veille de l’armistice, soixante-quatre mille Africains et près de quatorze mille Malgaches sont dans la zone de front. Les « vieilles colonies » ne sont pas en reste, puisque trois mille trois cents Réunionnais ont quitté l’île entre septembre 1939 et juin 1940, tandis que près de quatre mille cinq cents Antillais et Guyanais sont en route ou déjà présents au front dans différentes unités, mais la brièveté des opérations ne permet pas l’envoi de troupes plus conséquentes. On compte même quelques réservistes antillais qui, avides de combattre pour la France, paient eux mêmes le prix de leur traversée. De nombreux tirailleurs, prisonniers des Allemands, sont massacrés, conséquence directe de vingt ans de propagande raciste en Allemagne (la Honte noire). Le 7 juin 1940, à Airaines, la compagnie du capitaine N’Tchoréré (un des personnages de la série Frères d’Armes) du 53e régiment d’infanterie coloniale mixte sénégalais (RICMS) est anéantie et les survivants exécutés sommairement.

À l’heure de la débâcle, on estime les pertes entre six et sept mille combattants africains, des Antilles, de Guyane et de l’océan Indien. Si le 22 juin 1940, l’armistice met fin à ces massacres et aux combats, elle annonce aussi une période de discrimination. On estime à près de trente-deux mille les soldats noirs en captivité dans les frontstalags, ces camps implantés sur le sol français et non en Allemagne pour éviter le contact avec la population allemande. Nombre de soldats noirs et de prisonniers évadés rejoignent la Résistance. En Afrique, des militaires et des fonctionnaires — à l’image du gouverneur du Tchad Félix Éboué —, rejoignent les forces gaullistes. Sur ses traces, au Congo, le bataillon de marche n°1 (BM1) est le premier d’une série de seize bataillons dans lesquels les tirailleurs africains vont se battre sur tous les théâtres d’opérations de la France libre. Dans les Caraïbes, quelques deux mille cinq cents Antillais, les « dissidents », rallient la France libre, suivis par près de cinq cents Guyanais.

FOCUS
Les « dissidents » des Antilles

Au mois de juin 1940, l’amiral Robert place les Antilles sous l’autorité de Vichy. Les Antillais entrent peu à peu en dissidence. Deux mille cinq cents Antillais gagnent les îles anglaises voisines de la Dominique et d’Antigua, où se trouvent les bureaux de recrutement FFL, avant d’être intégrés sur les théâtres d’opérations européens. Il existe aujourd’hui à Roseau (île de la Dominique) un monument à la gloire des « dissidents », à côté du Mémorial du souvenir britannique.

8-MOBILISATION
© Coll. Éric Deroo/DR

Le tata de Chasselay (1940-1947)

Les 19 et 20 juin 1940, cent quatre-vingt huit soldats africains du 25e RTS sont massacrés par les troupes allemandes à Chasselay, près de Lyon. Les Allemands refusent que les corps soient enterrés, mais un ancien combattant, Jean Marchiani, décide de construire un cimetière. Une première fois inauguré en 1942 par l’État français du maréchal Pétain, un nouvel hommage est rendu à la Libération, le 24 septembre 1944, puis en 1947, en présence du député ivoirien Ouezzin Coulibaly.

 

FOCUS

 

La mutinerie de Thiaroye (1944)

Débarqués à Dakar le 21 novembre 1944, des tirailleurs africains réclament la régularisation de leurs soldes. S’ensuit une mutinerie, le 1er décembre 1944, sanctionnée par une « répression sanglante », selon les termes du président de la République François Hollande. Le bilan officiel est de trente-cinq tués, et quarante-huit emprisonnés finalement graciés en 1947. Il y a une vingtaine d’années, un monument Aux martyrs de Thiaroye a été érigé à Bamako.

DE L’OCCUPATION À LA LIBÉRATION (1941-1945)
 

En 1939, à la veille de la mobilisation, les tirailleurs sénégalais comptent dix-neuf régiments dont six en métropole. De septembre 1939 à mars 1940, on achemine en métropole plus de trente-huit mille de ces combattants, alors qu’en Afrique du Nord, vingt mille autres tirailleurs attendent d’embarquer. À la veille de l’armistice, soixante-quatre mille Africains et près de quatorze mille Malgaches sont dans la zone de front. Les « vieilles colonies » ne sont pas en reste, puisque trois mille trois cents Réunionnais ont quitté l’île entre septembre 1939 et juin 1940, tandis que près de quatre mille cinq cents Antillais et Guyanais sont en route ou déjà présents au front dans différentes unités, mais la brièveté des opérations ne permet pas l’envoi de troupes plus conséquentes. On compte même quelques réservistes antillais qui, avides de combattre pour la France, paient eux mêmes le prix de leur traversée. De nombreux tirailleurs, prisonniers des Allemands, sont massacrés, conséquence directe de vingt ans de propagande raciste en Allemagne (la Honte noire). Le 7 juin 1940, à Airaines, la compagnie du capitaine N’Tchoréré (un des personnages de la série Frères d’Armes) du 53e régiment d’infanterie coloniale mixte sénégalais (RICMS) est anéantie et les survivants exécutés sommairement.

À l’heure de la débâcle, on estime les pertes entre six et sept mille combattants africains, des Antilles, de Guyane et de l’océan Indien. Si le 22 juin 1940, l’armistice met fin à ces massacres et aux combats, elle annonce aussi une période de discrimination. On estime à près de trente-deux mille les soldats noirs en captivité dans les frontstalags, ces camps implantés sur le sol français et non en Allemagne pour éviter le contact avec la population allemande. Nombre de soldats noirs et de prisonniers évadés rejoignent la Résistance. En Afrique, des militaires et des fonctionnaires — à l’image du gouverneur du Tchad Félix Éboué —, rejoignent les forces gaullistes. Sur ses traces, au Congo, le bataillon de marche n°1 (BM1) est le premier d’une série de seize bataillons dans lesquels les tirailleurs africains vont se battre sur tous les théâtres d’opérations de la France libre. Dans les Caraïbes, quelques deux mille cinq cents Antillais, les « dissidents », rallient la France libre, suivis par près de cinq cents Guyanais.

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FOCUS
Le régiment de Harlem (1918)

Le 369e régiment d'infanterie, dont les soldats sont surnommés les Harlem Hellfighters, reçoit la croix de guerre, le 7 octobre 1918. En restant sur le front cent quatre-vingt-onze jours et en n’ayant aucun prisonnier, ce régiment va battre le record de participation des unités américaines. Ce régiment, qui déplore deux cents morts, est le premier régiment allié à avoir franchi le Rhin et pénétré en Allemagne le 12 novembre 1918.

LES AFRO-AMÉRICAINS SUR LE SOL DE FRANCE
 

La présence de combattants noirs dans l’armée américaine commence en 1863, en pleine guerre de Sécession, lorsque le président Abraham Lincoln fait appel aux U.S. Colored Troops. Durant la Grande Guerre, sur les quatre cent mille mobilisés afro-américains, un quart est envoyé en France (à partir de 1917), et 20 % seulement de ces effectifs sera envoyé au combat. La plus célèbre des unités demeure le 369e régiment d’infanterie de couleur de l’armée américaine qui sera sous commandement « temporaire » de l’armée française, les officiers américains blancs refusant de les conduire au combat. S’ils seront distingués et honorés par l’état-major français, ces soldats ne participeront pas au défilé parisien de la victoire du 14 juillet 1919. L’état-major américain décide en effet de les rapatrier rapidement, redoutant de voir se reproduire les mutineries d’août 1917 (au Texas), par peur surtout des habitudes qu’ils pourraient prendre d’une armée française qui ne pratique pas la ségrégation. De retour aux États-Unis, ils seront reçus en héros par la communauté afro-américaine.

Ce conflit révèle des personnalités de premier plan, comme Eugene Jacques Bullard (un des personnages de la série Frères d’Armes), le premier aviateur noir de l’histoire, ou l’ambassadeur du jazz le lieutenant noir James Reese Europe (un des personnages de la série Frères d’Armes). La ségrégation au sein de l’armée américaine se prolonge et reste forte à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Celle-ci freine le recrutement des Afro-Américains, les Américains ne souhaitent pas les envoyer au front. Finalement, les soldats noirs vont essentiellement servir dans des unités de soutien, et l’on compte jusqu’à 75 % d’Afro-Américains dans les services logistiques. À Cherbourg, que l’on désigne au cours de l’été 1944 comme le « Chicago en Normandie », dix bataillons ont la charge de la logistique des Alliés. Seule une partie de ces combattants est présente au feu à la fin du conflit, lors de la bataille des Ardennes (1944-1945). Leur histoire et leur mémoire ont été tardivement commémorés aux États-Unis — où la ségrégation raciale dans les forces armées américaines est restée en vigueur jusqu’à la guerre en Corée — et en Europe. Il a fallu attendre 2007, pour qu’un film américain leur rende hommage, Miracle à Santa Anna, réalisé par Spike Lee.

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© Grimaud / ECPAD
DÉCOLONISATIONS ET INDÉPENDANCES (1946-1977)
 

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la France fait de nouveau appel aux troupes coloniales pour rétablir son autorité dans toute l’Union française. Des bataillons sont engagés en Algérie, au Maroc, en Tunisie, à Madagascar en 1947 lorsque des révoltes éclatent ou encore à Suez en 1956 dans une opération conjointe avec les Britanniques. La guerre d’Indochine mobilise le plus grand nombre de combattants : des tirailleurs, bien entendu, et des Créoles, qui sont intégrés aux bataillons métropolitains. Ce ne sont pas moins de quatorze bataillons de tirailleurs sénégalais qui sont engagés en Indochine soit soixante mille Africains et pas moins de quatre mille ultramarins, à l’image de Marius Chipotel, présents dans les différentes forces combattantes. L’insurrection de 1954 en Algérie voit l’intervention de huit régiments de tirailleurs, des unités d’artillerie et des services, soit plus de quinze mille hommes au total.

Le temps des indépendances s’annonce en Afrique subsaharienne et à Madagascar en 1960. Dans cette perspective, les autorités françaises décident la création d’une école de formation des officiers des outre-mer pour préparer la mise sur pied des futures armées nationales. En 1958, les unités de tirailleurs changent d’appellation et deviennent des régiments d’infanterie de marine, des régiments interarmes d’outre-mer ou des bataillons autonomes. Dans les Dom-Tom, les appelés se fondent sans distinction dans les forces armées, et la mise en place du Bumidom en 1963 (flux migratoire organisé vers la métropole) fait que les appelés servent tout autant outre-mer, notamment dans les unités de service militaire adapté, que dans l’Hexagone. Lorsque les indépendances africaines sont annoncées, les soldats africains rejoignent le plus souvent leur armée nationale. Beaucoup formeront l’armature des armées de leurs pays respectifs, tel l’adjudant Bourama Dieme, marquant aussi la vie politique de ces états nouvellement indépendants. De fait, sur la quinzaine de pays de l’ex-Afrique française, plus de la moitié a été « dirigée » par d’anciens « cadres indigènes » de l’armée française : l’empereur de Centrafrique Jean Bedel Bokassa, ou encore Étienne Eyadéma Gnassingbé président de la République du Togo de 1967 à 2005 (et, à ce titre, doyen des chefs d’États africains).

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FOCUS
Les armées africaines sur les Champs-Élysées

À l’occasion du 50e anniversaire de l’indépendance de ses anciennes colonies en Afrique subsaharienne et dans l’océan Indien, la France invite les armées de treize pays à ouvrir le traditionnel défilé du 14 juillet sur les Champs-Élysées. Près de cinq cents soldats africains défilent devant les autorités et les Parisiens.

Les monuments aux héros de
l’Armée noire (1924-2014)

Quelques mois après l’édification du monument À la mémoire des soldats noirs morts pour la France de Nogent-sur-Marne, un monument Aux héros de l'armée noire est inauguré à Bamako le 3 janvier 1924. Six mois plus tard, une réplique du monument est également érigée à Reims, au plus près de l’ancien front. Ce dernier est détruit par les troupes allemandes en 1940, en même temps que les monuments érigés à Paris et Metz, en l’honneur du général Mangin, le père de la « Force noire ».

LES ANCIENS COMBATTANTS ET LES PENSIONS (1962-2012)
 

Il existe trois types de pensions militaires différentes : la pension de retraite des militaires (dont les bénéficiaires ne sont pas forcément d’anciens combattants), la retraite du combattant (attribuée à ceux qui ont combattu dans l’Armée française) et la pension militaire d’invalidité. Depuis une loi du 26 décembre 1959, les soldats des colonies, devenus « étrangers » suite aux décolonisations, ne bénéficient pas des mêmes droits que leurs frères d’armes français et leurs pensions ont été progressivement « cristallisées », c’est-à-dire gelées, alors que certains ont reçu une somme unique et forfaitaire. Jusqu’en 1975, la situation ne déclenche aucun mouvement de protestation, mais l’inflation vient bouleverser cet équilibre précaire. L’écart entre l’Afrique et la France devient alors très important. Rapidement, la « décristallisation des pensions » est revendiquée par les anciens militaires, tel Amadou Diop, assistés en cela par le Conseil national pour les droits des anciens combattants d’outre-mer (créé en 1994).

Ces actions vont permettre d’obtenir, suite à l’arrêt du 30 novembre 2001 du Conseil d’État, une première revalorisation des pensions versées aux anciens militaires, en tenant compte du niveau de vie de chaque pays. En 2003, une revalorisation de la retraite du combattant est également décidée. En 2007, juste après le succès du film Indigènes qui stigmatise sur cette inégalité de traitement, la France procède à une revalorisation bénéficiant à cinquante-sept mille titulaires de la retraite du combattant et à dix-huit mille titulaires de pensions militaires d’invalidité. En 2010, l’« égalité imparfaite » de 2007 est remise en débat, notamment par l’association Les Oubliés de la République, car les mesures n’ont porté que sur la retraite du combattant. La France s’engage, à l’heure des défilés commémoratifs sur les Champs-Élysées, à faire en sorte que tous les anciens militaires des colonies (sans référence au niveau de vie de ces anciennes colonies) puissent désormais bénéficier des mêmes prestations que leurs frères d’armes français. Ces débats ont aussi permis de rendre visible ces anciens combattants, dont l’histoire s’estompe à mesure que leurs rangs s’éclaircissent.

Appuyée sur les travaux d’historiens, chercheurs ou réalisateurs, une mémoire émerge désormais, relayée par les manuels scolaires, les médias et les déclarations officielles. Depuis une décennie, on rend hommage par la construction (ou reconstruction) de monuments commémoratifs en Afrique ou en Europe à ces soldats d’outre-mer qui ont combattu sous le drapeau français.

© ECPAD
FOCUS
Mémorial de l’armée noire à Fréjus (1994)

Ce monument a été érigé dans la ville de Fréjus en 1994 à la mémoire des combattants noirs, et à l’occasion du cinquantenaire du débarquement de Provence. Il s’inspire du premier mémorial rendant hommage à l’armée noire, édifié à Bamako et à Reims en 1924. L'épitaphe est signé Léopold Sédar Senghor : « À l’armée noire. Passant, ils sont tombés fraternellement unis pour que tu restes Français. »

150e anniversaire de la « Force noire » (2007)

À l’occasion de la commémoration des combats de Bazeilles (1870), fête traditionnelle des troupes de marine, et du 150e anniversaire de la création des tirailleurs sénégalais (1857), la France rend un hommage solennel à la « Force noire ». Une cérémonie officielle, présidée par le secrétaire d'État à la Défense, chargé des Anciens combattants, est organisée, les 31 août et 1er septembre 2007, en présence de trente-quatre anciens tirailleurs.

MÉMOIRES ET COMMÉMORATIONS AUJOURD’HUI
 

Notre époque voit la multiplication des publications et des commémorations sur le thème de ce passé commun entre la France, l’Afrique et les outre-mer. Il y a vingt ans, la construction du mémorial de Fréjus ouvre un cycle. Par la suite, la célébration du 150e anniversaire de la création des tirailleurs sénégalais en 2007, suivie par l’exposition itinérante La Force noire (en France et en Afrique à partir de 2008), sont des étapes essentielles de la redécouverte de ce passé commun. Les mémoires individuelles deviennent visibles, telle celle de Valentin Lindor (un des personnages de la série Frères d’Armes), le dernier poilu martiniquais, celles des anciens combattants en portraits dans l’exposition Le tirailleur et les trois fleuves (1998), ou encore dans le documentaire-hommage aux dissidents d’Euzhan Palcy. Au-delà de ce récit mis en histoire, il s’agit aussi de laisser parler les lieux. C’est, par exemple, l’inscription de la mosquée de Caïs (construite en 1928-1930) à la liste des monuments historiques en 1987, mais c’est aussi l’hommage aux morts : en 1966, une opération de regroupement des corps a lieu, ce qui permet de transférer près de cinq mille huit cents corps dans la nécropole nationale de Luynes, près d’Aix-en-Provence. Depuis, ces lieux s’inscrivent au cœur de notre patrimoine commun et la France devient une terre de mémoire.

Au sein de l’armée française, on entretient ce souvenir : chaque mois de mai, la Fédération des Anciens des troupes de marine organise une journée en hommage aux soldats d’outre-mer. Tradition et sauvegarde du patrimoine militaire s’organisent : le souvenir du 33e régiment d’infanterie de marine, héritier du 33e régiment d’infanterie coloniale est préservé aux Antilles, et il existe toujours un régiment de marche du Tchad (à Meyenheim) au sein de l’armée française. Désormais, il s’agit aussi de dépasser les souvenirs tragiques, sans les occulter. Par exemple, la répression de la mutinerie de Thiaroye est désormais étudiée et les autorités françaises y portent désormais un regard lucide. Au Sénégal, depuis 2004, on commémore cet évènement lors de la Journée du tirailleur. Le président de la République française, François Hollande, est le premier homme politique français à avoir rappelé officiellement cette tragédie dans son discours du 12 octobre 2012 à Dakar. Une page, commune, d’histoire s’ouvre pour bâtir une mémoire partagée.

© Adj. Desbourdes / ECPAD
FOCUS
Le jardin de Nogent

Dans le bois de Vincennes, le Jardin d’agronomie tropicale de Nogent-sur-Marne abrite plusieurs monuments liés à la Grande Guerre. Une plaque conserve la mémoire de la première mosquée de France liée à l’hôpital musulman de la Grande guerre, et un obélisque a été dressé en mémoire des soldats coloniaux. Tout autour, mémoriaux indochinois, malgache et aux « combattants noirs » font de ce jardin oublié un des grands lieux de mémoire de la République.

NOUVEAUX ENJEUX ET VISIBILITÉS ACTUELLES
 

L’assassinat des militaires Imad Ziaten, Abel Chennouf et Mohamed Legouad par Mohamed Merah, en mars 2013, a souligné aux yeux de l’opinion, au-delà de l’acte criminel, le visage « issu de la diversité » de l’armée française. Avec la suspension du service national obligatoire (1996) et la professionnalisation de l’armée, cette présence s’est prolongée. On estime — en l’absence de chiffres précis puisque les statistiques ethniques sont interdites — que cette population issue de l’immigration représenterait environ 15 % des effectifs militaires (contre plus de 30 % de soldats afro-américains et hispaniques aux États-Unis). Aux États-Unis, on favorise un « recrutement ethnique » ; au Royaume-Uni, il existe des équipes de recrutement issues des « minorités ethniques » et un système de quotas baptisé Plan d’action pour l’égalité des chances ; aux Pays-Bas, on cible directement des « minorités ethniques ». Si la France a mis en place plusieurs programmes d’intégration et de lutte contre les discriminations, ce type de politique affirmée en matière de recrutement n’existe pas.

En France, néanmoins, on trouve au sein de l’armée de l’air la possibilité d’un contrat d’engagement de trois ans, renouvelable, destiné aux jeunes défavorisés, et, en 2008, un programme d’égalité des chances a été mis en place. Pour ces efforts, l’armée de terre s’est vue décernée, en 2013, le « Prix de la diversité » par l’association Tolède. Mais il n’existe pas encore de politique globale en faveur des diversités des origines, même si ces atouts sont reconnus, notamment lors des interventions en dehors du territoire national. En outre, ces soldats, en particulier ceux d’origine ou de confession musulmane, peinent parfois à faire reconnaître qu’ils sont pleinement français, du fait du soupçon de « double allégeance » et de l’émergence du radicalisme islamique ; il reste donc de nombreux efforts à entreprendre quant à la promotion de ces soldats. Depuis des décennies, dans le Jardin d'agronomie tropicale de Nogent-sur-Marne, un hommage est rendu tous les ans à cette armée historiquement composée de populations très diverses.

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